La population vieillissante de Suisse pose un véritable défi en matière de politique du logement. Pour tenter d’y voir clair et oser quelques pistes pour y remédier, l’ARMOUP a invité à la réflexion et à la prospective lors d’une journée riche en échanges et en découvertes.
128 personnes ont fait le déplacement au Y–PARC d’Yverdon-les-Bains ce 5 mai dernier pour participer à la 5e Journée romande des collectivités pour le logement d’utilité publique (JRCLUP). La thématique de la journée proposée par l’ARMOUP a fait le plein: la question de l’habitat pour seniors interroge, la courbe démographique promet un tsunami de baby-boomers venant s’ajouter ces prochaines années à la cohorte des seniors vivant de plus en plus longtemps en relativement bonne santé dans notre belle Helvétie.
© Déclic_Photographies
Communes, cantons et Confédération sont sous pression et cherchent des solutions pour héberger au mieux un segment de la population en passe d’exploser les statistiques. L’Observatoire suisse de la santé prévoit une augmentation de 50% des plus de 65 ans et un doublement du nombre d’octogénaires d’ici à 2040. Autrement dit, il nous faut construire sans tarder un bon millier de nouveaux EMS offrant les 55’000 lits supplémentaires pour accueillir nos futurs aînés. Et développer massivement l’offre des aides de maintien à domicile.
La question est d’autant plus brûlante que la pénurie annoncée de logements pour seniors s’inscrit en Suisse dans un contexte plus large de pénurie du logement en général – pénurie encore bien plus marquée dans le segment des logements à loyer abordable. Une pénurie due en grande partie à une offre en diminution et une demande en augmentation. Une situation causée en partie par la hausse de l’immigration, l’effet Covid et à davantage de ménages de petite taille.
Voilà pour le contexte. Pas étonnant donc que la thématique proposée par l’ARMOUP attire les foules. Son président, Bernard Virchaux, a ainsi pu saluer une salle pleine à craquer de représentants de communes et de cantons, d’associations actives dans le domaine des seniors, d’investisseurs et de maîtres d’ouvrage d’utilité publique (MOUP). Isabelle del Rizzo, Secrétaire générale de l’ARMOUP, qui présentera les différents orateurs et oratrices tout au long de la journée, a ensuite ouvert le débat, en rappelant notamment que les MOUP étaient non seulement des acteurs importants et innovants dans le domaine de la production de logements pour seniors, mais aussi des partenaires privilégiés des communes pour solutionner en bonne intelligence l’épineuse question de l’habitat des seniors – à loyers abordables. L’habitat des seniors pose un vrai défi, mais des solutions existent pour y remédier.
Isabelle del Rizzo © Déclic_Photographies
Des études et des aides financières
Martin Tschirren, Directeur de l’Office fédéral du logement, avait ce jour-là le regard résolument tourné vers l’avenir. Confirmant dans son exposé les chiffres alarmants des courbes démographiques et de leur conséquence sur le logement, il ne cède pas au catastrophisme et présente toute une gamme de mesures de soutien apportées par l’Office fédéral du logement pour résoudre le problème. Cela va des aides au logement (Fonds de roulement, CCL) permettant de soutenir la construction de logements pour seniors jusqu’aux différentes études en cours, portant notamment sur le logement intergénérationnel – le mot est lâché et reviendra comme un mantra au fil des exposés –, en passant par le système d’évaluation de logements SEL, qui favorise la construction sans obstacle et à prix abordable.
Divers projets concrets sont en outre soutenus par le biais du programme Projets-modèles «Changement démographique: concevoir l’habitat de demain», parmi lesquels on citera un prototype d’habitat évolutif pour quatre générations de l’Association 4 Générations à Genève, et le projet d’adaptation de l’habitat d’un quartier lausannois avec et pour les seniors et dont Marion Zwygart, responsable de programme Habitat et vie de quartier de Pro Senectute Vaud, dévoilera certains aspects lors de la table ronde de la journée, modérée avec vigueur par Emmanuel Michielan, Directeur de Pro Senectute Fribourg, au milieu des oratrices et orateurs du matin, auxquels s’est également jointe Maude Allora, Municipale à Aigle, en charge de la cohésion sociale, qui présentera brièvement un joli projet d’habitat orienté sur les besoins des seniors au Clos du Bourg.
Martin Tschirren lors de la table ronde © Déclic_Photographies
Une grande hétérogénéité
Avec la gérontopsychologue Marianna Gawrysiak, on découvre à la fois les écueils et les richesses de nos aînés, mais on apprend surtout qu’ils constituent un groupe de population totalement hétérogène, aux besoins très diversifiés et qui s’étend sur une longue étape de vie pouvant se prolonger jusqu’à 40 ans après l’âge de la retraite! A cette longue durée devrait pouvoir répondre un habitat évolutif, allant progressivement du confort de logement à la compensation croissante du handicap. La gérontopsychologue a également souligné la capacité de résilience souvent sous-estimée des seniors et invite les promoteurs immobiliers à les impliquer plus activement dans la conception de l’habitat des seniors.
Cette hétérogénéité des seniors, que l’on a un peu trop facilement tendance à mettre tous dans le même sac, a également été mise en évidence dans l’exposé truffé de chiffres et d’humour de Christina Zweifel, Cheffe du centre de compétences Vieillesse et familles du canton d’Argovie. Elle a également souligné que l’on serait bien avisé de consulter davantage les seniors, véritables experts en matière d’habitat des aînés, et de ne pas trop râler, sous prétexte qu’ils coûtent cher à la société (santé, maladie), car en y regardant de près, ce sont eux qui paient près de 60% des impôts sur la fortune… en tous cas dans le canton d’Argovie.
Christina Zweifel © Déclic_Photographies
L’offre de Patrimob
Avec Joël Cornuz, Directeur de Patrimob, et Dominique Diesbach-Vernevaut, Directrice d’Alterimo et de l’association Althys, on entre dans une structure entrepreneuriale diversifiée et entièrement dédiée à la construction de logements d’utilité publique. Tentaculaire, parce que répartie sur plusieurs cantons romands et segmentée selon divers types de logements: pour étudiants, pour seniors, avec des logements avec encadrement plus ou moins poussé (LADA), à loyers modérés (LLM – subventionnés), à loyers abordables (LLA)… et même des logements d’utilité publique standards (LUP). Les seniors y sont bichonnés avec une offre riche et qui s’appuie sur des services de gérance et d’encadrement social spécialisés pour les logements des seniors: Alterimo et Althys, en plein développement.
Dominique Diesbach-Vernevaut © Déclic_Photographies
Le soutien exemplaire du canton de Neuchâtel
Avec Nicole Decker, Cheffe de l’Office du logement du canton de Neuchâtel, on entre de plein fouet dans le labyrinthe d’une politique du logement cantonale qui a su reconnaître le problème et a déjà pris des mesures concrètes pour y répondre. Notamment en favorisant les MOUP, qui se distinguent de plus en plus souvent avec des projets d’habitat intergénérationnel, et que le canton soutient par diverses mesures, telles que la mise à disposition de terrains constructibles en DDP, le cautionnement des emprunts jusqu’à concurrence de 30% des coûts, l’octroi de prêts garantis par gage immobilier sur 25 ans, la prise en charge d’intérêts du crédit de rénovation ou encore l’acquisition de parts sociales d’une coopérative. Largement de quoi inspirer d’autres cantons et communes…
Nicole Decker © Déclic_Photographies
Petites adaptations, grands effets
Avec Felix Bohn, architecte spécialisé dans l’habitat pour personnes âgées et gérontologue, on découvre qu’avec certaines petites mesures d’adaptation d’un logement, qui ne coûtent souvent que trois fois rien, il est possible d’augmenter considérablement le confort et le sentiment de sécurité des seniors. Une poignée dans la douche, une lumière adaptée au champ visuel fragilisé, des couleurs bien contrastées d’un plan de travail dans la cuisine, des seuils assez larges pour laisser passer une chaise roulante peuvent changer la vie de nos seniors, qui ne souhaitent qu’une chose, comme l’ont souligné tous les orateurs et les oratrices de la journée: rester le plus longtemps possible chez soi.
Felix Bohn © Déclic_Photographies
Toute l’équipe des oratrices et orateurs pose pour la postéritéDe g. à d.: Maude Allora, Christina Zweifel, Felix Bohn, Marion Zwygart, Emmanuel Michielan, Marianna Gawrysiak, Martin Tschirren, Nicole Decker, Joël Cornuz et Isabelle del Rizzo © Déclic_Photographies
Livrables:
« Logement et changement démographique: un regard vers le futur », par Martin Tschirren
« Des logements divers pour des populations âgées diverses », par Christina Zweifel
« Alterimo/Althys, par Dominique Diesbach-Vernevaut
Patrimob et logement pour seniors, par Joël Cornuz
« L’avancée en âge, ses écueils, ses richesses », par Marianna Gawrysiak
« Des logements dédiés aux seniors, est-ce vraiment nécessaire? », par Nicole Decker
Trois liens pour les curieux:
Le site de Marianna Gawrysiak, gérontopsychologue:
https://avant-age.ch/
Le site de Felix Bohn, architecte et gérontologue:
https://habitat-seniors.ch/
Patrimob:
https://patrimob.ch/